Rencontre avec une personnalité du Languedoc
Quand on est natif de la région Languedoc, quand on est amateur de vin, la famille Jeanjean est un pilier de notre patrimoine.
Jeanjean est un nom qui compte dans le paysage et qui, par son succès économique, contribue au rayonnement du territoire. Alors quand vous parvenez à décrocher une interview de Brigitte, 6ème génération de la famille fondatrice, vous êtes habitée d’un sentiment de fierté, et d’un peu de trac aussi ! Mais Brigitte Jeanjean est telle que tout le monde la décrit, que ce soit le commerçant de son village, les membres de son équipe ou l’acheteur international à la pointe de l’Afrique du sud : disponible, professionnelle, généreuse…et ponctuelle : Pile, à l’heure tapante du rendez-vous, elle appelle : «Bonjour, comment allez-vous ?» Bien sûr, une telle rencontre, par téléphone, c’est un brin frustrant, mais crise sanitaire oblige, chacune chez soi et …les bouteilles seront bien gardées !
La voix est calme, posée, ferme mais douce. La pointe d’accent est enveloppante et les mots prévenants. Bref, elle met à l’aise son interlocuteur et même sans face à face, une forme de proximité immédiate s’installe instantanément pour cette interview.
Brigitte, vous êtes la représentante de la 6ème génération de la famille Jeanjean : quelle(s) responsabilité(s) cela implique-t-il? Comment vivez-vous cette transmission familiale?
Je la vis de la manière la plus naturelle possible !!! J’ai la chance d’appartenir à une famille vigneronne, une maison fondée en 1870. Alors même si j’ai rejoint l’entreprise en 1992, j’ai d’abord connu une belle expérience professionnelle, avant et ailleurs : Après mes études, je suis partie au Canada où j’ai travaillé pendant 2 ans pour le grand coureur automobile René Metge, avec lequel j’ai œuvré à l’organisation du RAID HARRICANA, le rallye des neiges.
Rencontre forte, grands espaces, cette « initiation » est toujours bien présente . Il m’arrive de faire le parallèle entre ces deux vies. Le trait d’union : la nature. Car je suis une grande amoureuse de la nature. Quand je songe aux immenses espaces vierges, ces espaces merveilleux, ce sont des souvenirs grandioses de liberté, et je le reconnais, je peux retrouver cette sensation de liberté quand je suis dans mes vignes.
Avez-vous eu une figure inspirante ? Reçu des conseils particuliers ?
La figure inspirante pour moi dans le métier, c’est mon Papa (* Ndr Bernard JEANJEAN). Il a su me transmettre le respect : respect des autres mais aussi de la nature, et des valeurs fortes comme l’écoute, la solidarité, la bienveillance…même si c’est un mot qu’on utilise beaucoup de nos jours.
Je voudrais également citer d’autres figures inspirantes, que sont mes collaborateurs. Je travaille avec une équipe de 25 personnes mais je peux dire que je suis entourée d’un « noyau dur », à mes côtés depuis plus de 25 ans. C’est important pour moi de citer mes collaborateurs car sans eux, et bien, il n’y aurait pas le succès.
Le succès est arrivé car nous étions tous ensemble. Dans notre travail, il s’agit de cultiver un terroir, il s’agit aussi d’excellence. On est ensemble dans le vignoble, le travail est accompli . C’est aussi « simple « que ça. Cela a été fait ainsi par mes aïeux, mon père et mon oncle, depuis 1870.
Comment avez-vous « évolué » dans le monde du vin, dans ce monde très masculin ? Pensez-vous qu’il était différent parce que vous étiez une femme ?
Non. Je ne pense pas que mon parcours ait été différent parce que je suis une femme. J’ai eu l’occasion d’en discuter avec d’autres femmes, en responsabilité, dans l’entreprise, et je ne pense pas que les choses soient autres, parce que l’on est des femmes. Je remarque même qu’il y en a de plus en plus dans la profession ! En revanche, je dirais qu’il y a plus de curiosité.
J’ai conscience d’avoir la chance dans ce métier d’avoir un lien fort avec la nature, un lien fort avec le territoire, et d’être un acteur de ce territoire. C’est sans doute cela le point : je trouve qu’il y a de plus en plus de femmes qui participent au développement de notre territoire .
Avez-vous, vous-même, un ou des conseils particuliers à transmettre ?
Je citerais certaines valeurs : le travail, la rigueur, la patience, le savoir-faire, le travail d’équipe. Sans une équipe, on n’est rien du tout, … on est même tout seul ! Je compare souvent le travail au sport – vous savez que je suis une grande fan de sport – il faut de la passion, de l’écoute, de l’engagement et savoir profiter des rencontres.
La philosophie de mon agence Slow Com est « prendre le temps » Il ne s’agit pas forcément de ralentir le rythme à tout prix et en permanence, mais de prendre le temps de bien faire, de découvrir, d’apprécier. Il ne s’agit pas de lenteur, mais d’être dans son temps à soi.
Brigitte JEANJEAN, vous -même, parvenez-vous à être Slow ? Si oui, comment ?
Chère Madame, (ouh là là …. Je sens que j’ai touché un point sensible 😉 )
Quand on est vigneron, on est forcément Slow ! Notre métier exige un lien étroit avec dame nature. La nature nous inquiète parfois, et elle nous comble aussi. On fait avec elle et en fonction d’elle. Alors évidemment qu’on est Slow : On suit le rythme des saisons.
Et pour répondre à la question « comment ? », je dirais « en Bio avant tout » ! Le Bio permet de respecter la nature. Le Bio permet de protéger les hommes et les femmes qui y travaillent, de protéger les sols, et d’exprimer la singularité de chaque terroir. La nature nous oblige à être attentif, à savoir observer, être exigeant et bienveillant, à protéger notre terroir si singulier, notre faune, notre flore. Nous, ici en Languedoc, on a la chance d’avoir un terroir riche, alors oui évidemment on est Slow.
Et ensuite, ça continue, quand il s’agit de partager une bouteille avec un client. On prolonge le moment, un moment convivial et d’émotion. Ouvrir une bouteille, boire ensemble, c’est du lien social.
Pour terminer, je vous propose un petit questionnaire « portrait chinois » à la Bernard Pivot :
Votre vin ou votre cépage préféré ?
Je vous dirais que je n’ai pas de vin préféré. Par contre, ce que je préfère dans un vin, c’est le bien-être et l’émotion qu’il procure. Aimer un vin, c’est très subjectif. J’ai du mal quand j’entends des critiques sur un vin , car je sais tout le travail qu’il y a derrière. Il y a un vigneron qui travaille dur et même si on n’apprécie pas son vin, je trouve qu’il faut être attentif aux mots choisis pour en parler.
Pour revenir à la question, j’aime beaucoup le rouge et particulièrement le cépage Carignan. C’est un cépage exigeant, qui traduit la richesse du terroir. Il procure beaucoup d’émotion à la dégustation. Le Carignan a des notes fumées minérales ; c’est un cépage d’une grande complexité, doté d’un fort pouvoir structurant.
En ce moment, j’aime beaucoup les blancs. J’aime bien cette couleur parce qu’elle se marie facilement avec quantité de plats, les viandes blanches, le fromage aussi et ça, j’apprécie…. J’aime beaucoup le cépage Vermentino. Il a un nez expressif, un bel équilibre et une belle acidité.
J’aime un vin en particulier : Domaine du Causse d’Arboras, un assemblage de Marsanne,Roussanne, et Vermentino . C’est un vin qui s’accorde bien avec le fromage ou avec une tarte aux poireaux… ou aussi en apéritif. Il est d’une rare finesse, de structure et pureté du fruit . Un vin « cristallin », à l’image des calcaires qui l’ont vu naître. Mais j’aime aussi d’autres terroirs : les blancs de Bourgogne, ceux d’Afrique du Sud aussi ….
Votre mot préféré ?
Émotion : émotion des gens, émotion des vins. J’aime quand mon pouls s’accélère.
Le son, le bruit que vous aimez ?
Le bruit du vent. J’aime écouter le vent, dans mes vignes ou quand je suis au coin du feu avec un livre.
Votre juron, gros mot ou blasphème favori ?
“Tabernacle!” ou “Tabernouche!”, juron bien Québécois, qui signifie « Je n’en reviens pas! »
Un homme ou une femme pour illustrer l’étiquette d’un de vos meilleurs millésimes ?Je choisirais Simone Veil. C’est une femme que j’admire beaucoup. Une formidable icône de la lutte pour le droit des femmes. Je suis très admirative de sa vie. Elle a œuvré sans relâche pour défendre la mémoire des déportés. Elle a gardé la blessure intacte. Elle a survécu. Ça lui a donné une énergie exceptionnelle. Dans ce qu’elle a vécu, c’est-à-dire la destruction d’un peuple, certains ont été écrasés pour toujours. Elle, au contraire, a puisé dans cette douleur une incroyable énergie. Elle a mené une vie de combat .
C’est une survivante et j’adore sa citation : « Les erreurs ne se regrettent pas, elles s’assument. La peur ne se fuit pas, elle se surmonte. L’amour ne se crie pas, il se prouve ». Cette femme me fait du bien quand je pense à son combat acharné, à son engagement. Elle est d’une élégance folle.
Le métier que vous auriez aimé exercer si vous n’aviez pas occupé vos fonctions ?
J’aurais aimé être Championne de Tennis ! Dans ma jeunesse, j’étais plutôt bonne. J’ai concouru dans beaucoup de tournois, j’étais même bien classée, en 2e série. Je suis très fan de tennis. C’est un sport qui requiert beaucoup de qualités physiques: il faut être rapide, avoir des gestes précis, faire preuve de coordination, être endurant, avoir de l’équilibre et de la force. Je reste toujours investie dans ce sport, en tant que vice-présidente d’un club montpelliérain. C’est une passion, qui me procure un immense plaisir.
La plante, l’arbre ou l’animal dans lequel vous aimeriez être réincarné ?
Je vais choisir un arbre, le magnolia. C’est un des plus beaux arbres à fleurs. Il est très résistant aux maladies, il me procure beaucoup d’émotions.
Quel est votre film, votre chanson, votre livre, votre morceau de musique préféré ? Ou celui qui vous détend ?
Je ne pourrais pas citer un film ou un livre préféré en particulier Je lis beaucoup, je regarde beaucoup de films et j’écoute beaucoup de musique, je suis très éclectique. J’ai vu dernièrement le film « Les figures de l’ombre », qui raconte l’histoire vraie de trois femmes ingénieur en mathématiques au moment de la conquête spatiale et qui ont largement contribué au programme APOLLO. Elles ont œuvré dans l’ombre, dans un pays profondément inégalitaire. Ce film m’a beaucoup touchée, par son sujet mais aussi par l’interprétation des acteurs : formidables Kevin Costner et Octavia Spencer.
J’aime beaucoup les films en général….à part les films d’horreur !
En musique, j’apprécie la chanson française. J’ai d’ailleurs élevé mes enfants dans l’amour de la musique française. Ils ont 26 et 23 ans mais ils aiment bien écouter Brel, Bécaud, Véronique Sanson. Mais dans ma playlist, vous trouverez aussi Queen, les Pretenders, Nina Simone, Police, Dire Straits, Madonna, les Beatles, les Stones, du Jazz aussi et du Reggae.
Votre destination de voyage en général ? (A part le Canada 😉)
Bien sûr que le Canada a une place spéciale pour moi, j’y retourne d’ailleurs régulièrement.
Mais j’aimerais citer le Vietnam. J’aime voyager en Asie, je suis très attachée à ce continent. J’aime beaucoup le Vietnam pour son patrimoine, son histoire, sa population qui est si accueillante et …sa cuisine. Hanoï est une ville paisible et accueillante.
C’est vraiment un splendide pays. On y visite des merveilles : La baie d’Halong, Hang Son Doong, la plus grande grotte au monde .
Enfin, si vous deviez dresser votre portrait en quelques mots :
Juste, je pense être juste, joviale, j’ai un fort caractère mais je suis généralement de bonne humeur, spontanée.
Chanceuse , j’ai la chance d’être – bien – entourée : des amis, quelques uns très proches, j’ai une famille qui compte beaucoup. C’est très important. J’ai de la chance. Je fais un métier qui me plaît énormément. Qui me permet de faire des rencontres fantastiques. Quand j’en ai besoin, je me repose et je me ressource.
J’aime la vie .
J’aime la solitude aussi….
On ne naît pas tous pareil mais on va tous au même endroit. Alors il faut être soi-même. J’aime la vie et j’aime les gens….
Un autoportrait qui clôture très généreusement cette interview. Merci, un grand merci, pour le temps que vous m’avez consacré et pour nous avoir permis un autre regard sur votre univers .
Brigitte Jeanjean, Directrice et ambassadrice des Vignobles Jeanjean, est, avec l’acquisition récente du Domaine des Rocs en Pic St Loup, à la tête de neuf propriétés languedociennes. Soulignons que l’ensemble du vignoble JEANJEAN est entièrement en Bio. La famille est également actionnaire majoritaire du groupe Advini.
Brigitte Jeanjean a grandi dans le fief familial à Saint-Félix-de-Lodez, aux portes du Larzac. Après un BTS de commerce, elle s’envole vers le Québec. “Les Québécois sont sympathiques, curieux et excellents dégustateurs”, confie-t-elle. Puis, elle rejoint le groupe familial en 1992, à l’export puis à la communication.
La famille Jeanjean, c’est l’histoire d’une réussite. En 2010, la fusion-acquisition du chablisien Laroche par le négoce familial héraultais Jeanjean donne naissance au groupe Advini, acteur clé du vin français, notamment à l’export.
Brigitte Jeanjean, par son expertise, son engagement et l’histoire familiale est une personnalité phare du monde du vin. Pour en savoir plus sur la typicité de ses vins et des domaines, je vous invite à lire l’article qui lui est consacré dans la Revue des vins de France ou encore écouter ce podcast très authentique qui nous permet une rencontre au plus près de ses passions .